Vent, soleil et biomasse : trois énergies vertes

La modernisation de l'agriculture africaine va entraîner une augmentation des besoins énergétiques, déjà difficiles à satisfaire à l'heure actuelle. Sans pouvoir écarter totalement les produits pétroliers, les sources «alternatives» deviennent aujourd'hui opérationnelles. La situation énergétique de l'Afrique est caractérisée par un mélange d'énergies «modernes», électricité et produits pétroliers, et d'énergies «traditionnelles», principalement le bois, la traction animale et la force humaine. Mais ces deux secteurs ne peuvent répondre aux besoins d'énergie présents ou futurs engendrés par l'accroissement de la population et les mutations du monde rural qui, en raison de ses contraintes spécifiques, exige des solutions adaptées. D'abord, parce qu'il est mal relié aux réseaux de distribution centralisés, le monde rural a besoin de sources d'énergie disponibles sur place. Ensuite, parce que les moyens financiers sont limités, il lui faut trouver des énergies bon marché. Enfin, parce que l'exploitation commerciale du couvert boisé a' atteint ses limites écologiques, il faut recourir à des sources d'énergie renouvelables. Il est à prévoir que l'agriculture consommera de plus en plus d'énergie. Face à ce défi, les centres africains de recherche aussi bien que les bureaux d'études et les entreprises industrielles des pays du Nord ont proposé des solutions techniques. Ces vingt dernières années, l'Afrique a été un vaste champ d'expérimentation pour les idées les plus variées. Certaines ont donné lieu à des solutions inadaptées, rapidement abandonnées, d'autres, après bien des essais et tâtonnements, se sont révélées véritablement prometteuses. Rural ou agricole? Il y a souvent confusion entre énergie pour le monde rural et énergie pour l'agriculture. Pour plus de clarté, certains spécialistes parlent d'énergie domestique et d'énergie agricole. Les besoins énergétiques domestiques recouvrent ceux de la vie sociale et familiale : puisage ou pompage de l'eau potable ou de lavage, cuisine et parfois chauffage des habitations, éclairage, radio et télévision, transports personnels. Les besoins de l'agriculture sont essentiellement ceux du pompage de l'eau pour l'irrigation et l'abreuvement des animaux, la traction des matériels de culture, les appareils de traitement des produits (pulvérisateurs) et de post-récolte (moulins, décortiqueuses, débourreuses, éplucheuses, séchoirs...) et le transport des marchandises. L'énergie domestique et l'énergie agricole ont deux points communs : le pompage de l'eau de service et le transport. L'exhaure mécanisée de l'eau peut avoir, dans les deux cas, des solutions identiques: pompes à main pour quelques cases et de petits carrés maraîchers, pompes mécaniques pour les bourgs et les périmètres plus importants. Quant au besoin de transport, il n'est pas spécifique au monde rural dans son ensemble et les problèmes techniques sont les mêmes qu'en ville ou que dans n'importe quelle région du monde. Les produits pétroliers sont, là, difficilement remplaçables. Face à l'ensemble des besoins d'une agriculture qui cherche à se moderniser, on dispose des énergies classiques et des énergies dites nouvelles. Or, qui dit modernisation pense souvent à l'introduction de machines, y compris de moteurs, électriques ou à explosion. Même si la motorisation n'est pas encore très répandue en milieu villageois, c'est dès maintenant qu'il convient de penser à des solutions adaptées et économes. La motorisation agricole, à part le cas de grands périmètres sucriers qui permettent de produire de l'alcool comme carburant de substitution, se contentera encore longtemps du gazole. En revanche, des moteurs plus petits et utilisés à poste fixe peuvent utiliser des énergies alternatives : vent, soleil et biomasse. Les deux premiers, dons de la nature, sont inépuisables mais soumis aux aléas et rythmes naturels, courants des masses d'air et alternance nuit-jour. Pour la troisième, l'homme peut, par son action, compenser les caprices naturels auxquels elle est soumise. Le vent, réservé aux côtes Historiquement, la force du vent est, avec celle des cours d'eau, la source d'énergie qui a servi le plus tôt à faire fonctionner des machines. En Afrique, hélas, peu de sites permettent de disposer de vents assez forts sur des périodes suffisamment longues. Seules les régions côtières peuvent utiliser l'énergie éolienne de manière efficace. Les îles sont des sites privilégiés. L'archipel du Cap Vert est l'un des meilleurs exemples avec des centaines d'éoliennes de pompage qui ont créé autant de petites oasis cultivées dans un paysage presque totalement désertique. Les matériels les plus simples ont généralement été importés depuis longtemps par les agriculteurs et, malgré leur vétusté, tournent toujours grâce à la présence d'ateliers dans les petits centres urbains. De grands programmes nationaux d'installation d'éoliennes modernes de plus grande dimension y sont également lancés. Les côtes du Sénégal sont aussi assez largement équipées et bien des villages de bord de mer vont, grâce au vent, chercher l'eau douce profonde qui se trouve sous la nappe salée. Les matériels sont souvent de type Savonius, mis au point en collaboration avec l'université de Dakar. Il s'agit de deux demi-fûts d'essence coupés verticalement et montés en quinconce. Moins performant que des éoliennes à pales modernes, ce système est très rustique et présente le double avantage de ne jamais s'emballer quelle que soit la force du vent et de tourner dans l'axe vertical, ce qui simplifie les mécanismes à mettre en oeuvre. En Mauritanie, le projet «Alizés» qui vient d'être mis en oeuvre, verra l'installation de 101 éoliennes multipales capables de pomper 15 m3/jour à 15 m de profondeur et fabriquées sur place avec la collaboration d'une ONG française, IT Dello. Selon un de ses responsables, il faut sortir d'une certaine marginalisation avec des machines dites appropriées mais en fait peu fiables et d'un coût élevé de maintenance. Il faut s'efforcer d'atteindre une taille critique. Seule celle-ci permet de disposer des deux clés de la réussite de l'implantation d'une nouvelle technologie : la maîtrise de la maintenance par un personnel formé sur place et la prise en charge par les populations locales. Dans ces trois pays comme dans la quasi-totalité des cas en Afrique, l'éolienne agricole pompe directement l'eau, sans passer, comme les aérogénérateurs, par l'intermédiaire de la production d'électricité. C'est, là où il y a du vent et pourvu que la nappe ne soit pas trop profonde, l'outil le plus efficace pour l'irrigation de petits périmètres en saison sèche. Pendant l'hivernage, il y a moins de vent mais il y a la pluie... En Europe, outre l'utilisation de la force du vent, de nombreux moulins ont fonctionné grâce à l'énergie hydraulique. En Afrique, les seuls exemples que l'on trouve sont quelques vestiges datant de l'époque coloniale. Les cours d'eau ont un niveau trop irrégulier pour y implanter des moulins à aubes. Avec la construction d'un barrage, il est possible, dans certains cas, de créer des micro-centrales hydrauliques mais l'électricité qu'elles produisent dessert plutôt des centres urbains secondaires et leurs retombées sur l'agriculture restent tout à fait marginales. Le soleil au fond du puits Source d'énergie omniprésente, gratuite et inépuisable, le soleil n'a pu être utilisé pour le pompage de l'eau que depuis à peine vingt ans. Pourtant, le soleil joue un rôle ancien dans le traitement des produits. Le séchage à l'air libre des céréales, du café, du cacao, des produits de la pêche ou de la viande est utilisé depuis longtemps. Des appareils modernes, dits séchoirs solaires, ont récemment fait leur apparition et permettent, grâce à leur «effet de serre» de faire Monter la température dans des enceintes confinées où l'on met les produits à sécher. Le séchage est plus complet, plus rapide, plus hygiénique et les produits se conservent mieux. Souvent étudiés et adaptés par des instituts de recherche africains, comme au Sénégal, au Niger ou au Mali, ces séchoirs solaires sont arrivés aujourd'hui à un niveau technique assez élevé et à des coûts assez bas pour en justifier l'achat par les coopératives agricoles. Dans le cas des denrées périssables, telles que le poisson, l'emploi de séchoirs solaires permet à la fois d'accélérer le séchage et de réaliser des économies de bois. Plusieurs appareils de ce type ont été installés sur les plages sénégalaises de débarquement du poisson. L'usage «moderne» du soleil consiste à lui faire produire de l'électricité. Pour cela, deux voies. La voie thermodynamique permet de produire de l'électricité à partir d'un moteur dit «à basse température». Ce moteur fonctionne par l'expansion d'un produit, le fréon, liquide à température ambiante et gazeux lorsqu'il est chauffé par le contact de l'eau chauffée dans un long tuyau enroulé en serpentin dans un châssis vitré exposé au soleil. Plusieurs dizaines d'expérimentations au Sahel et de sévères échecs comme celui de la très grande centrale solaire thermodynamique de Dire au Mali ont conduit à abandonner ce système compliqué qui ne sert plus aujourd'hui qu'à produire de l'eau chaude individuelle dans les villes. En revanche, la filière photovoltaïque a été poursuivie. Les panneaux solaires, constitués de cellules de silicium, produisent directement de l'électricité. Les cellules, dès qu'elles sont touchées par les rayons du soleil, réagissent en mettant en mouvement des électrons. Sans intervention humaine, une pompe, immergée dans un puits, un fleuve ou un forage profond, se met en route automatiquement pour s'arrêter quelque huit heures plus tard lorsque le soleil est trop bas pour éclairer les panneaux. Magique sur le papier, le photovoltaïque a suscité bien des rêves et des centaines de «projets». Dans la réalité, et comme toute technologie nouvelle, il a fallu expérimenter, modifier,, fiabiliser les matériels, sensibiliser les usagers, former les réparateurs, organiser la distribution des pièces détachées et la gestion villageoise des points d'eau. L'énergie solaire photovoltaïque offre une alternative crédible pour autant que les sites d'implantation sont bien choisis et que les populations peuvent réellement s'approprier cet outil. Des cellules moins chères A titre d'exemple, au Mali, une grande station photovoltaïque multi usages (arrosage de cinq hectares de périmètres maraîchers le matin, alimentation des 300 habitants du village en eau potable à midi et abreuvement d'une centaine de têtes de zébus le soir) coûtait, il y a cinq ans, environ 300 000 Francs français. Ce prix a maintenant beaucoup baissé. Le coût bien moindre des cellules de silicium et l'expérience acquise qui permet la production en série mettent à la portée d'entrepreneurs privés et de groupements villageois des installations de petite taille pourvu que la vente des produits ainsi irrigués amortisse l'investissement. Le solaire photovoltaïque est entré dans sa phase de développement et peut devenir, si la baisse des prix se poursuit, une énergie très bien adaptée aux besoins d'une agriculture intensifiée, regroupée autour de points d'eau. De tels pôles qui fonctionnent déjà au Sahel ont montré qu'ils étaient capables de retenir les jeunes sur le terroir. Les déchets agricoles constituent des sources d'énergie déjà utilisées dans l'agro-industrie. Les coques de café ou d'arachide comme les bourres de noix de coco sont bien souvent brûlées dans les usines pour faire fonctionner des séchoirs industriels ou des machines à vapeur. Les résidus de scieries, qui peuvent atteindre 40 à 60% du volume des grumes, peuvent être également compactés et brûlés dans des chaudières industrielles ou bien mis dans des gazogènes. Les moteurs qui utilisent le gaz pauvre qui sort de ces gazogènes coûtent deux fois plus cher que les moteurs diesel mais, avec des déchets gratuits, ils sont amortis en deux ans. Des gazogènes «digèrent» aussi des déchets humides des cultures pour produire de l'électricité. Ainsi, un très grand périmètre rizicole au Cameroun utilise deux grosses turbines à gaz alimentées avec les résidus de riziculture. Arroser l`énergie verte Mais, pour le paysan isolé, le problème est bien différent. Il ne dispose pas de déchets toute l'année et ceux dont il dispose ont déjà bien des usages importants: protection du sol, alimentation des animaux, construction des cases... Investir dans la production de gaz est, dans ces conditions, un véritable choix «politique» entre le biogaz (voir encadré) et les autres besoins. Pourtant, il existe une voie qui ne met pas en concurrence les usages possibles de la biomasse, c'est la «culture» de l'énergie verte. Difficile à réaliser dans les zones trop sèches, la plantation énergétique est possible partout où il y a de l'eau, fleuve, nappes ou pluies abondantes, renouvelable et accessible, et pour autant que les rendements des arbres plantés atteignent au moins 30 t/ha/an. Pour irriguer son périmètre ou faire fonctionner des moteurs à poste fixe de traitement des produits après-récolte, l'«agriculteur-forestier» se libère ainsi des contraintes du fioul et la vie de son exploitation ne dépend plus des aléas des livraisons extérieures mais uniquement de son travail. En Inde, des plantations villageoises de bois-énergie sont irriguées et même fertilisées. Elles produisent entre 50 et 100 t/ha/ an avec des densités de l'ordre de 25 000 arbres/ha. Huit mille fermiers de la province du Gujarat ont ainsi planté plus d'un million d'essences diverses qui non seulement produisent du gaz mais aussi apportent tous les bienfaits qu'un arbre peut donner à l'environnement, sans compter le compost que l'on retire des gazogènes en les vidant après usage. Cette approche intégrée est encore largement méconnue en Afrique car elle souffre d'un préjugé défavorable : comment peut-on prôner la gazéification du bois sur un continent gravement atteint par la déforestation? «Tenir un tel discours, affirme Michel Matly, spécialiste des questions énergétiques, c'est oublier un paramètre fondamental. Le gazogène, s'il consomme certes de la végétation, permet aussi par son énergie d'en produire plus qu'il n'en détruit: l'énergie obtenue à partir d'un arbre peut permettre d'en faire pousser six ou bien d'en faire pousser deux et d'irriguer ses champs». Les énergies nouvelles ne sont plus des mythes. Eole, Phoebus et Ceres, les dieux antiques du vent, du soleil et de l'agriculture, se sont penchés sur le berceau de ces sources alternatives au pétrole. On peut leur prédire une longue vie si les hommes, qui les ont aidés à faire leurs premiers pas, les poussent maintenant sur les bons chemins.

Na minha lista:
Detalhes bibliográficos
Autor principal: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Formato: News Item biblioteca
Idioma:French
Publicado em: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1991
Acesso em linha:https://hdl.handle.net/10568/59465
Tags: Adicionar Tag
Sem tags, seja o primeiro a adicionar uma tag!