Communication : démultiplier le message

Les expériences réussies de communication rurale ne sont pas nombreuses. Trop souvent, les barrières linguistiques, le manque de moyens financiers et de coordination en limitent l'impact sur le développement. Jamais le besoin d'informer, de former, d'éduquer et de motiver les ruraux des pays ACP n'a été aussi important. La pression démographique s'accroît et de nombreux agriculteurs ne dis posent pas encore des connaissances et de la maîtrise des techniques nécessaires ' à un développement rapide de leur production. Dans cette optique, une bonne politique de communication avec le monde rural, et aussi entre les paysans eux-mêmes, est l'une des conditions du développement agricole. On a trop souvent oublié de lui accorder la priorité qu'elle mérite. A l'origine, la communication n'était qu'affaire de langage, que ce soit entre deux individus ou à l'intérieur d'un groupe. Aujourd'hui encore, la parole reste le meilleur moyen de communiquer tant au niveau social, politique que technique. C'est pourquoi les vulgarisateurs agricoles sont les meilleurs canaux de communication avec les agriculteurs pourvu qu'ils soient motivés, bien formés et entraînés aux techniques de la communication. Malheureusement, ils sont beaucoup trop peu nombreux (un vulgarisateur pour 8 000 personnes selon les statistiques de la Banque Mondiale) et ne peuvent que très difficilement atteindre de façon régulière les mêmes personnes. Trop de difficultés subsistent telles que la faiblesse des moyens de communication, le mauvais état des routes, la grande diversité des langues vernaculaires. Dans la majorité des pays africains il existe une langue 'officielle' (souvent le français ou l'anglais) que les paysans ne maîtrisent pas toujours très bien : il faut alors savoir communiquer dans une des langues locales, celles-ci étant extrêmement nombreuses. Les nomades, par exemple, ne parlent pas la même langue que les agriculteurs sédentarisés. En Afrique de l'Est, les pays qui ne parlent qu'une langue comme le Bostwana, le Lesotho, le Malawi ou le Swaziland ont eu beaucoup moins de difficultés que la Zambie où de multiples langues régionales sont parlées. De même, en Tanzanie où le swahili est très répandu, la pénétration des radios rurales fut plus facile qu'au Kenya où le swahili est beaucoup moins parlé que les langues traditionnelles. Autre problème, dont on a pris conscience récemment dans les pays africains principalement, celui de la communication entre les hommes et les femmes: beaucoup d'agriculteurs sont en fait des agricultrices alors que tous les vulgarisateurs sont des hommes. Les traditions culturelles ne facilitent les échanges entre les deux sexes. Tous ces facteurs ont souvent été ignorés ou sous-estimés : de nombreux gouvernements ont longtemps pensé qu'une bonne communication centralisée était suffisante. Mais, le manque de personnel, l'insuffisance des moyens de transport et l'hétérogénéité culturelle des populations ont empêché une communication rurale efficace, à la grande déception de certains. Démultiplier l'action du vulgarisateur Les vulgarisateurs doivent pouvoir atteindre le plus grand nombre possible de personnes étant donné leurs faibles effectifs. Il y a quelques années, les actions étaient concentrées sur les agriculteurs considérés comme les plus réceptifs au progrès technique pour qu'ils servent ensuite d'exemple à leur entourage. Cette démarche a rencontré un succès limité : la diffusion de l'information s'effectue, dans les sociétés traditionnelles africaines, de façon horizontale et à l'intérieur de certaines couches sociales seulement. Pour que cette technique de diffusion de l'information soit efficace, il aurait fallu choisir judicieusement un nombre important d'agriculteurs dans les différentes classes sociales. A cette fin, des réunions de paysans de même origine sociale auraient été préférables. Cependant, le meilleur multiplicateur de l'action des vulgarisateurs reste l'utilisation d'un autre média. Récemment, des efforts ont été menés pour assurer aux vulgarisateurs une formation solide sur les techniques de communication. Durant ces stages, l'accent a été mis sur l'utilisation de supports audiovisuels et de medias de grande audience. Mais tous ces efforts louables ne se concrétisent pas encore dans la mise en oeuvre des projets de communication rurale. De même, il est regrettable que les visites et les réunions qu'organisent les vulgarisateurs ne soient pas effectuées en coordination avec les medias, alors que cela pourrait augmenter l'impact du message technique destiné aux agriculteurs. Radio : un potentiel sous-utilisé La radio est le meilleur exemple d'un media bon marché, mais souvent sous-utilisé. Dans les pays en développement, il y a maintenant un poste de radio pour 14 personnes. La Banque Mondiale estime que, par heure, une émission de radio est de 2 000 à 3 500 fois moins chère que les vulgarisateurs. La radio prépare le terrain pour d'autres media et facilite le travail des vulgarisateurs. Elle introduit de nouvelles idées qui sont ensuite discutées entre les agriculteurs, dans leurs familles et entre voisins. Les vulgarisateurs peuvent alors consacrer plus de temps à répondre à des questions suscitées par les émissions de radio, apporter des détails, corriger certains malentendus et mettre en place des démonstrations pratiques qui illustrent le message radiophonique. Mais la qualité des programmes de radio rurale n'est pas toujours au rendez-vous. Les programmes consacrés à l'agriculture sont souvent répétitifs et diffusés au moment où agriculteurs et pêcheurs sont encore au travail. La langue utilisée n'est souvent parlée que par une minorité de paysans et les animateurs de radio sont en grande majorité des hommes. Les émissions de radio, souvent mal coordonnées avec les autres activités de vulgarisation, ont alors un impact bien limité. Comment améliorer l'efficacité du message radiophonique ? Les responsables des radios doivent miser sur des animateurs formés et motivés qui sauront faire preuve d'imagination et de créativité pour rendre leurs émissions attrayantes. Faute de moyens financiers, d'un encadrement efficace et d'un travail en équipe, les animateurs seront rapidement démoralisés. Ces obstacles peuvent être surmontés. Plusieurs pays en développement ont réussi à créer des radios rurales performantes. Certes, ce succès tient souvent à une équipe : si elle part, le projet s'essoufle. Mais l'appui constant des autorités nationales se révèle également indispensable pour la pérennité des projets. En Afrique de l'Ouest, la radio rurale mauritanienne créée en 1970 a pu se maintenir pendant toute la période de la sécheresse grâce à l'appui du ministère du Développement Rural. D'autres pays francophones, comme le Burkina Faso, le Cameroun, le Niger et le Togo, ont connu également des succès dans ce domaine (voir SPORE no10, page 7). Dans les pays insulaires des Caraïbes, de l'Océan Indien et de l'Océan Pacifique, le développement des radios rurales est facilité par l'exiguïté du territoire et la relative homogénéité des langues `parlées. Cependant, les radios rurales n'ont, dans leur grande majorité, pas réussi à avoir un impact décisif sur le processus de développement. Ceci pour plusieurs raisons: manque d'une stratégie à long terme où la radio ferait partie d'une campagne plus large de vulgarisation, manque de moyens et de formation des cadres des radios rurales. La cassette audio La diffusion de cassettes audio permet de cibler le message sur un groupe spécifique dans une langue particulière. Au Kenya, des cassettes sur l'amélioration de la production de café ont été distribuées aux agriculteurs de langue Kikuyu, dont une majorité sont des femmes. D'autres cassettes sur l'élevage ont été diffusées auprès des Masai, des Kalenjin ou des Turkana. Ces cassettes sur les possibilités de croisement des espèces prenaient en compte les conditions régionales et les langues locales. Media personnalisé par excellence, la cassette permet de créer une relation privilégiée avec un auditeur qui se sent alors impliqué dans le programme : l'auditeur peut par exemple donner son avis sur l'émission en enregistrant ses réactions sur l'autre côté de la bande. Les animateurs peuvent ainsi intégrer les remarques du public dans les prochaines émissions. Là encore, la diffusion de cassettes audio doit être intégrée dans une campagne multi-média où chacun joue un rôle spécifique en fonction de son coût. Autre avantage des cassettes audio, elles peuvent être écoutées autant de fois que nécessaire, au moment choisi par l'agriculteur. Les lecteurs de cassettes sont aujourd'hui bien répandus, notamment chez les jeunes. Conscients de la valeur des radios, ils entretiennent avec soin le matériel qu'on peut leur prêter. Télévision et vidéo La télévision est souvent utilisée pour diffuser des émissions rurales mais elle souffre des mêmes contraintes que la radio. Les programmes coûtent cher et se réduisent souvent à des débats de studio ou à des reportages qui ne montrent que des stations de recherche ou des fermes proches des villes. Les heures de diffusion, les barrières linguistiques et surtout le manque d'électricité dans les villages limitent considérablement l'impact de ces émissions sur le milieu rural. Cependant, là où l'électricité rurale est disponible et où les gens parlent la même langue, la télévision illustre avec efficacité le message oral. Dans cette optique, les dramatiques, les pièces de théâtre de marionnettes et les démonstrations pratiques passent bien auprès du public. La vidéo, dont la souplesse d'enregistrement est bien connue, offre une alternative attrayante à la télévision. La FAO utilise la vidéo interactive avec succès au Pérou, et d'autres pays sont intéressés par cette approche. Comme pour les cassettes audio, la vidéo peut utiliser des appareils relativement bon marché et de petites équipes pour réaliser des programmes avec des ruraux. Maximiser les produits de la communication L'expérience montre que la diffusion d'une information éducative est d'autant plus efficace qu'on utilise plusieurs médias. La multiplication des médias permet de compenser le faible nombre de vulgarisateurs disponibles. Par exemple, une campagne de promotion du riz en Sierra Leone appuyée par la FAO en 1984 a touché 60% des producteurs en couplant la radio et des montages de diapositives présentés par les vulgarisateurs. Au Mexique, PRODERITH a mené avec succès un travail similaire sur les zones tropicales humides, notamment grâce à l'appui de la Banque Mondiale. Mais la palme revient à l'INADES qui, depuis 1962, se consacre à l'enseignement agricole à distance en Afrique de l'Ouest. Basé à Abidjan, il offre des cours par correspondance, des programmes de radio, un journal trimestriel (AGRIPROMO) et des séminaires pour les vulgarisateurs et les paysans. Quatorze pays utilisent ses services et plus de 43.000 paysans et vulgarisateurs ont déjà suivi les cours de l'INADES. Pour réussir un bon programme de communication rurale, il faut des objectifs clairs, une planification soignée, un financement suffisant et du personnel bien formé. Une bonne politique de communication coûte cher, mais un échec est encore plus coûteux en termes de ressources et d'opportunités perdues. Pour de nombreux pays ACP, le progrès agricole et la survie économique reposeront dans les prochaines années sur l'émergence de groupes d'agriculteurs bien informés grâce à des programmes de communication rurale efficaces. Bibliographie : World Bank. - Basic education and agricultural extension. - Washington : working paper n°564, 1983. FAC. - Perspective on communication for rural development. - Rome : Development Communication Paper, 1987. World Bank. - The educational use of mass media. - Washington : working paper 491, 1981.

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Bibliographic Details
Main Author: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Format: News Item biblioteca
Language:French
Published: Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation 1988
Online Access:https://hdl.handle.net/10568/58963
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